Le Président que l’on n’attendait pas


par Brigitte Ades - Dimanche 13 Novembre 2016

class="p1" style="margin-top: 0px; margin-right: 0px; margin-bottom: 0px; text-align: justify; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-stretch: normal; font-size: 15px; line-height: 25px; font-family: "Libre Franklin", sans-serif; -webkit-text-stroke-color: rgb(0, 0, 0);"> Il a commencé la campagne en amuseur de galerie, il est maintenant le leader du pays le plus puissant du monde. Beaucoup sont consternés, d’autres sont moins pessimistes. Que peut-on attendre de sa présidence ? Même s’il est encore tôt pour le dire, quelques pistes se profilent.
 

Trump a été élu parce qu’il s’est présenté comme un homme d’action, un bâtisseur qui reconstruirait les routes et les ponts. Pour ce faire, il a promis des emplois à tous les laissés-pour-compte de la mondialisation, notamment les ouvriers de la rust belt, la ceinture industrielle en berne. Pourra-t-il vraiment les aider à se construire un avenir meilleur ?

 

Une politique économique pénalisante pour la classe ouvrière

 

Trump compte restaurer des secteurs comme les industries manufacturières et le charbon. Cependant, comme le note Francis Fukuyama dans Foreign Affairs, pour rester compétitives, ces industries sont désormais très hautement automatisées. Quant au charbon, ce ne sont pas les lois environnementales qui rendent le charbon obsolète, mais le gaz naturel, libéré en surplus lors du fracking. Le charbon n’est pas une énergie en hausse aux Etats Unis et moins demandée dans les pays importateurs.

L’ancien Secrétaire d’Etat au Trésor, Larry Summers, démontre, dans le Financial Times, que le plan de Trump, tel qu’il a été présenté par ses conseillers, Peter Navarro and Wilbur Ross, ne pourra pas aider la classe ouvrière. De fait, il la pénalisera à moyen et long terme. Son plan de financement pour de nouvelles infrastructures étant majoritairement privé n’inclura pas les projets de ponts et chaussées, les retours sur investissements n’étant pas suffisamment élevés.

 

Trump propose de renégocier les accords de libre échange, comme Nafta ou le TTP (Transpacific Trade Pact) avec l’Asie. Certains économistes prédisent que s’il persiste dans cette voie, il freinera au contraire l’élan de l’Amérique, car en réinstaurant les tarifs douaniers, il pénalisera les industries de pointe qui exportent surtout à l’étranger. 

 

Un cabinet très pro « establishment »

 

Trump s’est présenté comme le pourfendeur de l’«establishment» politique de Washington… Il suffit de regarder la liste des membres annoncés hier, de son futur cabinet pour comprendre qu'ils font justement partie de cet establishment contre lequel Trump s’est insurgé : Reince Priebus le chairman du Comité National Républicain. Ce choix, “super-establishment”, est contrebalancé par la nomination comme senior adviser de Stephen K. Bannon, un populiste xénophobe réputé, qui a été son directeur de campagne. Sont aussi pressentis, Rudy Guiliani, ancien Maire de New York, Steven Mnuchin, ancien banquier de Goldman Sachs, qui est derrière le financement de sa campagne. Chris Christie ou Newt Gingrich aux Affaires Etrangères, Harold Hamm, à l’énergie, un homme qui a fait sa fortune dans le pétrole. 

A moins d’un grand changement, tous les hommes qui l’entourent n’ont pas montré jusqu'à présent de propension à défendre les plus démunis. Tout indique qu’ils favoriseront au contraire les plus aisés. Une des promesses de campagne de Trump a été de réduire les impôts dont 47% des bénéfices iront aux 1 % des contribuables les plus fortunés. Comme concession, Trump a déclaré vouloir conserver certaines des régulations financières de Dodd-Frank, même si le vœu le plus cher des banquiers de Wall Street est de l’abolir totalement. Je peine à trouver de l’« anti-establishment » dans toutes ces mesures. 

Pour toutes ces raisons, si Trump a été capable de tendre la main aux défavorisés en identifiant leurs maux, il y a fort à craindre qu’ils puissent sortir du dénuement à l’issu de sa Présidence. Ils seront très déçus et le retour de bâton sera peut-être violent. La classe ouvrière n’aura certainement pas une voix à Washington. 


Une négation des années Obama

 

Autre bémol prévisible : M. Trump souhaite dans les cent premiers jours de son mandat, revenir sur tous les « executive orders » pris par le Président Obama, sans être passé par le Congrès. C’est là un des points les plus inquiétants de cette élection. Ils concernent aussi bien les lois sur l’immigration, pour protéger les enfants sans papiers de la déportation, que les mesures de l’Obamacare. Trump a cependant annoncé qu’il gardait deux des piliers du plan de santé, notamment l’interdiction pour les compagnies de refuser d’assurer les cas de maladie préexistantes, mesure qui avait la faveur des Républicains.

Trump compte aussi revenir sur les accords de Paris sur le climat. Sur les 300 milliards qu’Obama avait promis pour aider les pays atteints par le réchauffement, le président élu a annoncé qu’il ne verserait pas les derniers deux tiers.  Rappelons que M. Trump avait décrit la question du réchauffement climatique, pendant toute sa campagne, comme « un canular fomenté par les Chinois » et qu’il a nommé le très sceptique Myron Ebell, pour conduire la transition de l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA)

 

M. Trump semble aussi déterminé à dénoncer la Chine à l’OMC pour ce qu’il appelle « une manipulation de leur monnaie. Selon de nombreux analystes, y compris Larry Summers, c’est absurde car la Chine est intervenue l’année dernière pour faire monter le Renminbi, désormais surévalué. Il n’y a donc plus lieu d’attirer l’attention de l’OMC, même si la Chine a par le passé effectivement manipulé sa monnaie, à des fins commerciales. Plus généralement, il faudra s’attendre à d’importantes tensions commerciales entre les deux superpuissances. 

 

Les leçons à tirer de cette élection

 

Une des grandes surprises de cette élection a été de voir à quel point les media et les sondages se sont trompés dans leurs pronostics et leurs analyses. Ils ont beaucoup perdu en crédibilité à la suite de leur manque de pertinence tout au long de ces élections.  

 

Mais, signe des temps, les Américains s’étaient déjà beaucoup tournés vers WikiLeaks qui aura été une de leur principale source d’information dans cette campagne. Le site a beaucoup contribué à desservir le camp démocrate en dessillant leurs yeux sur les réalités de la campagne et de la machine électorale. Wikileaks a notamment publié un e-mail, datant de 2008, dans lequel un responsable de la banque Citigroup suggérait au Président Obama les membres de sa future administration… Cette même équipe qui devait massivement renflouer Citigroup ainsi que toutes les banques avec de l’argent public quelques mois plus tard.

 

Trump aura beaucoup dénigré la presse traditionnelle et paradoxalement, c’est elle qui a contribué à le faire élire, en relayant massivement des sondages erronés qui, annonçaient continuellement Hillary Clinton en tête : Plus ils la donnaient largement gagnante, et plus ils décomplexaient les indécis, qui voulaient exprimer leur rejet de l’ordre établi, sans penser qu’il allaient faire le jeu de Trump.

 

Pour être juste, si les sondages ont été très loin de la réalité, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas pris en compte un nouveau type d’électeurs, ceux que Michael Moore décrit comme des anarchistes cachés, « Closet Anarchists ». Apparus déjà pour le Brexit, ces hommes et femmes, dont le nombre a surpris tout le monde, se sont tenus à l’écart et n’ont pas divulgué leurs intentions de vote… Désabusés par trente ans de politique, refusant de voir les dynasties Bush ou Clinton se succéder au pouvoir, tout aussi impuissantes à empêcher le fossé entre les riches et les pauvres de se creuser, ces électeurs y compris les femmes, ont  décidé de mettre un coup de pied dans la fourmilière, sans même souvent réfléchir au contenu du programme de celui qu’ils élisaient.  


C’est un monde ancien qui finit

 

Nous sommes à l’aube d’un monde nouveau et des soubresauts se font sentir dans nos démocraties. En Europe comme aux Etats-Unis, les hommes politiques traditionnels sont dépassés et ne semblent pas en mesure de répondre aux nouvelles aspirations de leurs concitoyens. Dans ce contexte, où tout est à repenser, la tentation est grande de voter pour l’outsider, qui se démarque du discours consensuel. Mais les candidats qui ont le plus d’audace, ceux qui prétendent avoir les solutions sont généralement les moins responsables, comme l’a montré Boris Johnson après le Brexit, en refusant de devenir Premier Ministre quand David Cameron venait de démissionner. Il avait mis un pavé dans la marre mais il ne savait pas comment accompagner le changement. Trump sera-t-il différent ? Il faut l’espérer, même si le contexte ne donne pas beaucoup d’espoir.

 

Partout dans le monde, en Europe comme aux Etats Unis, les laissés-pour-compte de la mondialisation, victimes aussi de l’automatisation poussée des industries, ne sachant plus à quel saint se vouer mettent leur destin entre les mains de tribuns. Les mêmes slogans populistes ont été entendus en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, mais aussi en Hongrie et en Autriche. Des discours clivants, qui divisent profondément nos sociétés. Des refrains similaires seront repris dans les campagnes électorales en Allemagne et en France.

Et même si tous les hommes politiques centristes, de droite comme de gauche, s’accordent pour dire qu’il faut réguler le nombre de migrants, ce sont les populistes qui marquent les esprits en imputant avec brio le chômage, conséquence structurelle de la mondialisation et de l’automatisation, à la question de l’immigration. 

Ces tribuns d’un nouveau type, agitant leur crinière blonde, font des dégâts incommensurables en divisant nos sociétés et proposant des solutions d’un autre âge. Car ce n’est pas en retournant aux frontières, en élevant des murs et en remettant des barrières tarifaires que nous parviendrons à relever les grands défis du 21e siècle.

 

La faillite programmée des politiques économiques populistes doit nous servir de leçon. Il reste à espérer que les Français et les Allemands la prendront en compte alors qu’ils auront à choisir leur leader pour quatre ans, dans les premiers mois de 2017.

par Brigitte Ades

 
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